1/ Maurice Benhamou Galerie Regards, 17 mars - 7 avril 1990 Art Press, n°148, juin 1990
2/ Michel Nuridsany « Sur le blanc nos regards se posent 1982 - 1992 » Le Figaro, 7 juillet 1992
3/ Christine Blin « Sur le blanc nos regards se posent 1982 - 1992 » Texte du catalogue Galerie Regards, Paris 1992
4/ Maurice Benhamou Poème extrait du catalogue Claude Chaussard, Tableaux d’une exposition n°1 et n°2 Ville d’Issy-les-Moulineaux - Galerie Romagny, 1995
5/ « Claude Chaussard ou l’éloge de la blancheur maîtrisée » Texte extrait de Point d’Appui n°272, juin 1995
6/ Alan Chatham de Bolivar « Le Salon de la Bibliophilie : un salon prometteur » Art et Métiers du livre n° 190, mars - avril 1995
7/ 23ème Festival international de peinture, Cagnes-sur-Mer 1991, Tableaux d’une exposition n°1 et n°2 Ville d’Issy-les-Moulineaux - Galerie Romagny 1995 Texte extrait des catalogues
8/ Maurice Benhamou Texte pour la Galerie Akié Arichi, Paris 15 mai - 18 juin 2001
9/ Jean-Pierre Delarge « Extrait du Dictionnaire des arts plastiques modernes et contemporains » Éditions Gründ, 2001 Fr/An
10/ Claude Béland « De la race des contemplatif - Détournement » Galerie Bernard, Montréal 26 octobre - 16 novembre 2002 Fr/An
11/ Maurice Benhamou « La couleur tensive » Galerie Guislain États d’Art, Paris 3 avril - 10 mai 2003
12/ Lydia Harambourg « La couleur tensive » La Gazette de l’Hôtel Drouot n° 14, 11 avril 2003
13/ Jean De Julio-Paquin « Réflexion : une réalisation majeure d’art public à Gatineau » Vie des Arts, vol. 50, n° 205, 2006-2007
14/ Maurice Benhamou « Dans la lumière de Claude Chaussard » Extrait de Le visible et l’imprévisible , Éditions L’Harmattan 2006 Fr/An
15/ Claude Béland « Claude Chaussard - Parcours 1981 - 2010 » Galerie Bernard, Montréal 26 mai - 27 juin 2010 Fr/An
16/ Texte extrait du catalogue Papier 10, Foire d’art contemporain d’œuvres sur papier Association des galeries d’art contemporain Montréal 2010 Galerie ERic Devlin Fr/An
17/ René Viau « Un trio à géométrie variable » Vie des Arts, n° 227, Été 2012
18/ Maurice Benhamou « Une façon de marcher » 2016
19/ Sonia Reboul « 7 artistes visuels canadiens à découvrir absolument » Querelles Art & Expositions, Culture, 18 juillet 2016
20/ Sonia Reboul « Dans l’univers de l’artiste Claude Chaussard » Querelles Art & Expositions, Culture, 2 mai 2016
21/ Maurice Benhamou « à Claude Chaussard Bleu Claqué » 2017
22/ Maurice Benhamou « D'une peinture inchoative » 2018
23/ Claude CHAUSSARD: Exposition solo, communiqué de presse, Galerie ETC, 2019
24/ François Beauxis « Claude CHAUSSARD : le Bleu intime du Temps qui passe » Entretien pour Art'Nmag, sept - oct 2019
24/1 Galeristes, Galerie ETC, 2019
25/ Sylvie Merlino « La collection d'un poète » Decrypt-art juin 2020.
26/ Armand Herscovici « Claude CHAUSSARD, un autre regard » Revue LION n°740 avril-mai 2021
27/ Elora Weill-Engerer « On paper » Exposition collective mars-avril 2022, Galerie ETC
28/ Damien Aubel « Aux bords mystérieux du monde », exposition collective, Transfuge 2023
29/ Xavier Bourgine « Outre-Horizon », exposition collective, Point contemporain 2023
30/ Elora Weill-Engerer « Claude CHAUSSARD » , exposition solo, communiqué de presse, juillet-septembre 2023 Galerie ETC
31/ Jean-Yves Bosseur: Musique et Arts Plastiques Interactions aux XXe et XXIe siècles , Édition Minerve 2024
Maurice Benhamou
Galerie Regards, 17 mars - 7 avril 1990
Art Press, N 148, juin 1990
Claude Chaussard dessine à la mine d’argent comme on le faisait encore à l’époque de Vasari. Les pièces les plus remarquables sont des papiers marouflés sur métal, de format insolite 250 x 10 cm, qui représentent, sur des fonds longuement préparés par des ponçages successifs, une ligne droite, toujours à la mine d’argent qui s’accorde bien avec la lumière. Dans sa percée au sein du blanc, cette ligne transforme l’espace en espace-temps. Elle respecte les hasards et les nécessités du tracé, rendant compte en chemin des élans dans la surcharge et des craintes dans les effleurements. Regroupées par séries de quatre, des toiles blanches très préparées à l’acrylique portent, chacune, la trace des quatre coups de pinceaux verticaux pour lesquels il utilise des huiles dépigmentées : la couleur est alors le médium qui travaille avec le temps et la lumière.
Michel Nuridsany
Sur le blanc nos regards se posent 1982-1992
Le Figaro, 7 juillet 1992
Claude Chaussard, Galerie Regards
Claude Chaussard donne à voir un peu de nuagisme d’hier, un objet méditatif fait d’une plume blanche sur un lit de mercure répandu sur une plaque de marbre aujourd’hui et, entre les deux, quelques traces retenues à l’extrême, ouvertes sur l’invisible : l’art discret, exigeant de Claude Chaussard fait entendre cette voix de fin silence dont parle Laporte dans le blanc de la vision.
Christine Blin
Texte et poèmes du catalogue Sur le blanc nos regards se posent
Période 1982-1992
Galerie REGARDS, Paris 1992
Silencieux
Effacement devant la neutralité
Effleurement du rien
Frémissement du vide
Sur le blanc nos regards se posent
Attentifs
De l’immaculé naissent tous les possibles
Nos regards aveugles lisent la blancheur de l’oubli
L’humble pureté d’une ligne tendue vers l’absolu nous
Conduit d’une rive à l’autre
Derrière le verre se dessinent des labyrinthes et dans les
Effets de miroir se réfléchissent nos pensées
Sur le marbre frémit le mercure
D’un trait définitif mais altérable la pointe d’argent suggère
La courbe d’un corps
Le blanc toute lumière et toutes couleurs absorbées traduit
Par son caractère dépouillé une perfection et une fragilité
Intérieure pour atteindre toute son intensité
Sur le blanc nos regards se posent
Méditatifs
Afin de percevoir l’invisible
Écouter le non-dit
Et atteindre peut-être l’infini
doux bleu-bleu
double jeu
résonance
de l’écho
d’un cordeau
poudré bleu
blanc voyage
des nuages
au-delà
du naufrage
éperdu
un oiseau brasse le ciel
le désir
fil tendu vers l’inaccessible
explose dans la violence
de l’absolu
errance
dans le labyrinthe des jours
partance
vers ce point de non-retour
absence
de l’au-delà
l’invisible se mire
dans le fleuve large et lent
terre et ciel recomposés
dans le roulis du temps
le regard dénudé
projette à l’horizon
la supplication
d’une vision blanche
lavée de toute tentation
autoportrait
pudiquement voilé
par la fragile beauté du verre
et la blancheur immaculée
quelques heures après minuit
émergence du jour
de cette rencontre naissent
les saisons pour toujours
immuable
trait de glace
souffle continu
glissant
dans la douceur du blanc
entre mouvance
et absence
dérive du rêve
sur la plage sans sommeil
miroir blanc illimité
la nuit se baigne nue
au hasard d’une brèche
la lumière délivrée
rompt les ténèbres
à fleur de peau
un murmure
un soupir
dans un carré de lumière
fait de givre et de feu
un poème imaginaire
se grave sous nos yeux
il n’y a pas de regrets
seules les larmes d’argent
resteront contenues
sur la froide immobilité du marbre
le silence transparent
se repose
frémissement
sur le vide si blanc
une plume se pose
la blancheur de l’oubli
dérobe à nos regards
l’impalpable absence
ainsi
jusqu’à l’effacement
l’insidieuse indifférence
nous conduit
à n’y penser jamais plus
Maurice Benhamou
Poème extrait du catalogue
Claude Chaussard, Tableaux d’une exposition n°1 et n°2
Ville d’Issy-les-Moulineaux - Galerie Romagny 1995
"Dans le blanc saigne le sans-couleur. Matière que le temps altère.
Comme celui qui boit pour éprouver sa soif et que nulle eau ne désaltère."
Texte extrait de Point d’Appui
Claude Chaussard ou l’éloge de la blancheur maîtrisée
N° 272, juin 1995
Sur le blanc, le regard se pose et se repose. Mais ce blanc n’est qu’illusion : il bouge, il vit; parfois même il agite nos pensées… Du 9 au 23 juin, Claude Chaussard, artiste, peintre, architecte, enseignant, ermite et grand penseur expose ses blanches toiles à l’Hôtel de Ville pour le plaisir du pur et de l’épure. Pour celui des mots, Claude CHAUSSARD nous a confié ses pensées.
« J’ai toujours voulu faire de la peinture et quand on n’est pas du milieu, rien n’est facile. » Aussi, Claude Chaussard contourne le problème. Pour la satisfaction de tous, il devient architecte et, pour son propre plaisir, il s’essaie aux pinceaux. Ainsi, tout au long de son parcours, cet artiste isséen cache un atelier de peinture. « Quand on a 20 ans, on est sous influence, à 40 ans on se découvre soi-même. » Les débuts de Claude Chaussard sont colorés, puis, au fil des années et de sa recherche intérieure, les tons violents perdent leurs illusions. Peu à peu, l’artiste fait tomber le masque, c’est une croissance vers la lumière. Là où l’écrivain a peur du vide et de la page blanche, l’histoire de Claude Chaussard commence.
Il dessine à la mine d’argent sur des fonds longuement préparés par des ponçages successifs. Lorsque ces particules impures s’envolent dans son atelier, le peintre se concentre et sa main comme une lame fine trace avec précision une ligne droite. Maurice Benhamou, critique d’art, explique alors que cette « percée au sein du blanc transforme l’espace en espace-temps ». Elle respecte les hasards et les nécessités du tracé, rendant compte en chemin, des élans dans la surcharge et des craintes dans les effleurements. Claude Chaussard se concentre sur la technique. Il joue du mercure, de l’huile dépigmentée, de la pointe d’argent. Il s’amuse et s’interroge sur les effets de la lumière et sur les transformations des produits insolites qu’il utilise. Ses toiles sont mûries et elles nécessitent de nombreuses recherches. Ainsi, un simple trait ou un trait qui nous semble simple, laisse imaginer un corps de femme, une courbe délicate ou l’empreinte de l’âge.
La marque presque blanche qu’il imprime sur la toile, évolue, elle se dilate ou se contracte au gré de la lumière. « J’aime que le tableau m’échappe, qu’il vive », explique l’artiste et pourtant, il sait exactement ce qu’il va faire… Pour lui, peindre est une profession de foi. Parfois même une thérapie! Il prétend cela tout en baissant les yeux, il sait que certains qualificatifs font peur et surtout il préfère travailler plutôt que de parler de lui-même. Pour lui, peindre est un état d’esprit avant d’être un métier. Il souhaiterait que l’architecture qu’il enseigne par ailleurs, soit ressentie de la même façon. Claude Chaussard a un grand respect pour les autres et il ne manque pas de rappeler à ses étudiants combien il est important, lorsque l’on bâtit, de se souvenir que, quoi qu’il arrive, des individus vivront dans les œuvres de l’architecte!
La vie de chacun est rythmée de rencontres. Au travers de l’exposition que Claude Chaussard nous offre, il rend hommage à monsieur et madame Boissier qui lui ont donné une première chance en le laissant exposer dans leur galerie très parisienne de la rue de l’Université. Plus jeune, il rêvait d’y rentrer. Aujourd’hui, c’est chose faite, Claude Chaussard est connu et reconnu…
Alan Chatham de Bolivar
Art et Métiers du livre
n° 190, mars - avril 1995
Le Salon de la Bibliophilie : un salon prometteur
… présence remarquée d’artistes du livre avec Christine Blin et Claude Chaussard qui présentaient leurs dernières réalisations soignées, livres-sculptures, textes typographiés, sérigraphie, estampes, lithographie dont Doigt de craie, texte typographique et composition en braille, 1991, chaque pièce étant rehaussée d’un double trait de craie bleue.
Texte extrait des catalogues :
23ème Festival international de peinture, Cagnes-sur-Mer 1991,
et
Claude Chaussard, Tableaux d’une exposition n°1 et n°2
Ville d’Issy-les-Moulineaux - Galerie Romagny 1995
Après avoir utilisé la couleur blanche en tant que « masque » recouvrant en partie les divers pigments utilisés sur la toile « période 1982 » ou utilisée directement sur le verre pour dissimuler ou plus exactement pour démasquer le labyrinthe « Macule d’Architecture 1985 », le blanc est utilisé depuis 1987 dans son étymologie première « espace vide dans une page ».
Les divers matériaux utilisés, la pointe d’argent, l’huile, le mercure se définissent par rapport à la notion de « l’idée et l’image » où le temps (période irréversible des phénomènes dans leur succession) marque son empreinte sur l’évolution de l’objet œuvré.
TEMPS
-
Destruction ou instabilité due à la physique des constituants non contrôlés, évolution des peintures à l’huile, des papiers, des plastiques, etc.
-
Immobilité ou stabilité due à l’utilisation des pigments acryliques qui fossilisent l’objet œuvré dans « l’espace temps de production ».
-
Élaboration de l’objet œuvré par son évolution contrôlée et volontaire à travers « l’espace temps » du devenir.
Le thème des « Émergences Résurgences » est construit suivant le 3e principe : Après avoir établi une mise en « espace vide dans une page » pure technique, les préparations sur toile ou sur papier reçoivent un module identique, constitué d’un mélange de diverses huiles de lin, d’œillettes, etc. (le pigment est éliminé), qui a la propriété de se stabiliser ou d’évoluer à travers le temps par effet de dessiccation (l’image source première du tableau est ainsi toujours en activité-coloration évolutive).
Maurice Benhamou
Galerie Akié Arichi, Paris
15 mai – 18 juin 2001
L’œuvre si subtile et par certains côtés si radicale de Claude Chaussard n’est pas de celles qui s’affichent mais de celles qui s’effacent. Le sensible y joue toujours à la limite du visible. La pointe d’argent que le peintre utilise au lieu de graphite touche le papier des « éventails » blancs d’une ligne indistincte et silencieuse qui apparaît et disparaît selon la lumière. Toutes les œuvres sont nourries de lumière et du temps qui passe. Les derniers travaux utilisent des fragments d’écorces de très vieux hêtres, frênes ou acajous en fines lamelles comme exfoliées. Les traces de vaisseaux ligneux y sont lisibles, dont les ornements plus ou moins épaissis par l’âge, diffèrent selon les essences. Pas plus que les formes, les couleurs ne doivent rien à l’artifice ni donc à l’arbitraire. Elles sont l’effet chimique des concentrations de lumière et de durée. Le peintre s’efface certes mais non ce regard-tactile. Ni le vrai projet de cette œuvre qui est de rendre sensible le mystère.
Jean-Pierre Delarge
Extrait du Dictionnaire des arts plastiques modernes et contemporains
Éditions Gründ, 2001
CHAUSSARD, Claude Né le 24 février 1954 à Paris, France ; diplômé de l’École d’Architecture de Versailles ; se consacre à la peinture depuis 1985.
Le carré et le blanc : cela renvoie à (Robert) Ryman, nécessairement, Chaussard s’essaie à d’autres variations et à l’usage des matériaux les plus divers : le verre, la pointe d’argent, le mercure, l’huile de lin. Depuis les palissades chaulées du début des années 80 aux miroirs partiellement recouverts de mercure des années 90, toutes les traces, macules, souillures dont le blanc peut être le metteur en évidence, sont employées.
CHAUSSARD, Claude Born in Paris, France, February 24, 1954; graduate of l’École d’architecture de Versailles; he devotes himself to painting since 1985.
The white square is a reference to Robert Ryman. Inevitably, Chaussard tries his hand at other variations and the use of the most diverse materials: glass, silverpoint, mercury, inseed oil. From the whitewashed boardings of the early 1980s to mirrors partially covered in mercury of the 1990s, all traces, smudges, stains that while can bring forward are employed.
Claude Béland
Détournement
Galerie Bernard, Montréal
26 octobre – 16 novembre 2002
De la race des contemplatifs, Claude Chaussard provoque l’instant fugitif dans son atelier, par le geste même du tracé et par sa prolongation dans le temps. C’est le cordeau tendu au-dessus de la feuille qui claque libérant, au hasard des ondes, chaque fois différents et aléatoires, un son, une trainée bleue. C’est la pointe d’argent qui effleure la toile apprêtée et que les ans vont bronzer. C’est l’huile dépigmentée que la lumière colore, que l’ombre efface. Claude Chaussard a fait du temps son complice, son principal instrument de création.
Claude Béland
Détournement
Galerie Bernard, Montréal
October 26 - November 16, 2002
Of a contemplative nature, Claude Chaussard provokes the transient instant in his studio, by the very action of tracing and its prolongation in time. It is the taut cord above the sheet of paper that snaps, liberating by random undulations, each time unique and aleatory, a sound, a blue trail of powder. It is the silverpoint brushing against the prepared canvas that the years will tamish. It is the depigmented oil that the light will color and that shadows will erase. Chaussard has made time his accomplice, his primary instrument of creation.
Maurice Benhamou
La couleur tensive
Galerie Guislain États d’Art, Paris
3 avril-10 mai 2003
« La couleur, dit Paul Klee, n’a pas seulement une valeur chromatique, mais encore une valeur lumineuse »L’œuvre si subtile et par certains côtés si radicales de Claude Chaussard n’est pas de celles qui s’affichent mais de celles qui s’effacent. Le sensible y joue toujours à la limite du visible. La tension est épidermique. Dans les toiles où sont mis en rapport des blancs vinyliques et des huiles dépigmentées, c’est la lumière qui colore les blancs et le temps qui modifie les huiles.
Lydia Harambourg
La Gazette de l’Hôtel Drouot, no 14, 11 avril 2003
…Écrivain et poète, Maurice Benhamou entretient des liens privilégiés avec l’art pictural. Il a établi une complicité avec quatre artistes pour accompagner ses textes de leur regard. Ceux-ci ont été attentifs à transcrire par la lumière l’indicible difficulté de figurer, d’écrire le passage, le suspendu, l’instant et l’éphémère et cependant le prégnant et l’éternel. Ensemble, ils dialoguent heureusement sur le thème La couleur tensive, titre de l’ouvrage de Benhamou, récemment paru.
Pour la saisir dans sa transcendance Claude Chaussard questionne le visible à partir du blanc obtenu à partir d’un subtil équilibre entre les blancs vinyliques et les huiles dépigmentées. Le blanc s’impose comme « espace vide dans une page » et soumis aux interactions du temps…
Jean De Julio-Paquin
Réflexion : une réalisation majeure d’art public à Gatineau
Vie des Arts, vol. 50, n° 205, 2006-2007
http://id.erudit.org/iderudit/52505ac
Maurice Benhamou
Extrait de Le visible et l’imprévisible, Éditions L’Harmattan 2006
Dans la lumière de Claude Chaussard
L'œuvre si subtile et, par certains côtés, si radicale de Claude Chaussard n'est pas de celles qui s'affichent mais de celles qui s'effacent. Le sensible y joue souvent à la limite du visible.
La pointe d'argent que le peintre utilise au lieu de graphite touche le papier des « éventails » blancs d'une ligne indistincte et silencieuse qui apparaît et disparaît selon la lumière.
Même quand l'effacement ne concerne pas le visible, il s'applique toujours au peintre lui-même. Ainsi ces papiers qui ne portent qu'une ligne horizontale bleue soit dans la partie basse d'une surface carrée blanche soit sur le bord même de sa limite inférieure. Nulle trace de la main. Cette ligne n'est pas « tracée ». Elle est claquée au cordeau de carrier. Projetée comme au tir à l'arc. Poudre sèche de bleu charron qui persiste à claquer. Qui n'entre dans aucun rapport chromatique, c'est-à-dire dans aucun récit. Ce bleu intransitif, intransigeant, ne dit rien. Il se met à être. Et, par là, se temporalise.
L'on trouve au début des années 90 des œuvres d'un format tel (10 cm x 250 cm) que l'on ne peut les envisager que dans la diachronie. Le regard suit alors lentement, sur le papier marouflé sur métal, une unique ligne dans ses élans et ses effleurements.
Certains autres travaux utilisent des fragments d'écorces de très vieux hêtres, frênes ou acajous en fines lamelles comme exfoliées. Les traces de vaisseaux ligneux y sont lisibles, ornements plus ou moins épaissis par l'âge, différents selon les essences. Moins encore que les formes, les couleurs ne doivent à l'artifice c'est-à-dire à l'arbitraire. Elles doivent d'abord à l'effet chimique des concentrations de lumière et au rôle toujours actif de la durée.
La temporalité constitue en fait l'élément essentiel de cette œuvre plastique paradoxale. Durée peinte. Figuration de l'infigurable quatrième dimension que serait le temps.
Il y a une grammaire particulière à ce travail. Toutes les formes s'y plient à un emploi inchoatif. Tout y est toujours « en train de ». De s'effacer, de se modifier, de se développer, de durer. Il est donc vivant, et non pas dans un sens métaphorique. C'est pourquoi la brièveté extrême de ce qui s'y exprime échappe à tout minimalisme et à tout ce que ce terme porte de formalisme et de raideur.
Toujours avec la même économie, la même radicalité non ostentatoire, cette recherche se développe en séries. « Ostinato rigore ». C'était aussi la devise de Léonard. Mais elle aurait pu être celle de Cézanne ou de Malévitch.
Formats modestes (50 x 50 cm). L'épaisseur des châssis confère aux toiles un caractère sculptural neutre. Un mélange blanc mat d'acrylique et de vinyle couvre sans trace de brosse la surface et les chants.
Le centre de la toile a, auparavant, été peint d'un carré d'huile dépigmentée. Lorsque la couche blanche passe sur ce carré préparé, elle patine crée des formes imprévisibles entre lesquelles l'huile crue, la matière organique non stabilisée, d'une extrême sensibilité à la lumière, jaunit ou pâlit selon son exposition et la durée de cette exposition. Et cette vie de l'huile rend saisissantes les formes blanches qui ont pu s'incruster. Le rapport entre les deux matières procure, de façon jamais éprouvée auparavant, l'émotion de sentir l'haleine même de la peinture.
Ce sentiment que nous est révélé, au-delà de la blancheur impersonnelle du blanc mat, quelque chose de l'intimité la plus secrète de l'œuvre s'intensifie encore avec la série la plus récente intitulée « Lettres des Anges ». Toujours des formats carrés mais d'un papier souple, très blanc, semblable à ce que l'on appelle du « non-tissé ». L'huile répartie par légères macules, soit groupées, soit envahissant le champ, semble venir non de la surface, mais du filigrane du papier. Elle « saigne » secrètement. Durablement. Elle confère une transparence à l'opacité du monde. Transparence précaire qui s'efface selon nos mouvements devant l'œuvre. Mais qui nous envahit soudain si profondément que nous perdons pied en nous-mêmes.
Quel sera le prochain événement de cette quête portée à chaque série un peu plus loin ?
Maurice Benhamou
Excerpt from Le visible et l’imprévisible
Éditions L’Harmattan 2006
By the light of Claude Chaussard
Claude Chaussard’s very subtle and in some respects very radical work is not loudly assertive, but rather self-effacing. It harbours a sensitivity that often plays on the farthest limits of the visible.
The silverpoint which the painter uses instead of graphite touches the prepared paper with an indistinct and silent line that appears and disappears, depending on the light.
Even when the notion of effacement does not concern the visible, it always applies to the painter himself. Consider the sheets of paper bearing only a horizontal blue line, either in the lower section of a square white surface or on the bottom edge itself. No trace of a hand. The line is not “drawn”. It has been snapped with a chalk line. Projected, as though from a bow string. Dry charron blue powder that continues to resonate. That engages no chromatic relationship, no narrative. This intransitive, intransigent blue says nothing. It simply sets out to be. And, in so doing, it enters the dimension of time.
There are also the works from the early 90s, in a format (10 X 250 cm) one can view only diachronically. The gaze thus travels slowly along the metal-mounted paper, following the momentum and fleeting touch of a single line.
Other works use fragments of very old beech, ash or mahogany bark, cut into thin strips like exfoliations. Traces of ligneous vessels are legible: ornaments that vary in thickness according to age, and that differ according to species. Even less so than the forms, the colours owe nothing to artifice, which is to say to the arbitrary. Instead, they owe everything to the chemical effect of concentrations of light and to the ever-active role of duration.
Temporality constitutes the essential element of this paradoxical body of creative work. Painted duration. The representation of the unrepresentable fourth dimension: time.
A particular grammar underlies this work. All its forms submit to the inceptive. Everything is always “in the process of”. In the process of disappearing, of changing, of developing, of lasting. Everything is alive, and not metaphorically speaking. That is why the extreme brevity of what is expressed eludes minimalism and the formalism and inflexibility suggested by the term.
This search is developed through series of works, always with the same economy and non-ostentatious radicalism. Ostinato rigore, “unrelenting rigor”. This was also Leonardo’s motto, and it could have been that of Cézanne or Malevitch as well.
Modest formats (50 x 50 cm). The thickness of the stretcher gives the canvases a neutral sculptural feeling. A matte white vinyl-acrylic mixture covers the surface and edges, with no trace of a brushstroke.
First, a square is painted in the centre of the canvas with de-pigmented oil. When the white layer passes over this prepared square, it creates a patina of unpredictable forms. Raw oil, a non-stabilized and highly light-sensitive material, appears between the forms, yellowing or paling depending on its exposure to light and the duration of this exposure. And this life of the oil paint makes the white forms that have managed to encrust themselves compelling. The relationship between the two materials gives one the unprecedented sense of feeling the very breath of the paint.
Something of the work’s most secret intimacy seems to be revealed to us beyond the impersonal pallor of the matte white. This sense is further intensified in the most recent series entitled “Lettres des Anges”. These are square formats as well, but on ultra-white, soft paper, similar to non-woven paper. The oil is distributed in light smudges, some clustered together, others spreading out. It seems to come, not from the surface of the paper, but from its very structure. It “bleeds” secretly. Lastingly. It lends a certain transparency to the opacity of the world. A precarious transparency that effaces itself as we move in front of the work. But which suddenly seizes us so deeply that we feel destabilized.
One wonders what the next event will be in this quest that pushes further with every series.
Claude Béland
Claude Chaussard - Parcours 1981-2010
Galerie Bernard, Montréal
26 mai – 27 juin 2010
La Galerie Bernard vous invite à explorer le travail de Claude CHAUSSARD, un parcours balisé de lignes, de trames et de lumière. Un art intime et exigeant, retenu à l’extrême, ouvert sur l’invisible.
Qu’il travaille en deux dimensions (œuvres sur papier) ou en trois (livres d’artiste ou art public), Claude CHAUSSARD reste fidèle à la même approche : le médium décide de l’itinéraire. La corde de maçon commande la ligne; la pointe d’argent contraint au trait; l’huile dépigmentée imprègne le papier et force la transparence. « Mon idée n’est pas de dessiner une ligne; je choisis le cordeau, qui m’amène à cette ligne. »
Claude Chaussard met en évidence l’instant, l’éphémère. De la technique apprivoisée, maîtrisée, émerge un langage, une grammaire où tout est toujours « en train de… ». De s’effacer, de se modifier, de se développer, de durer. Comme à l’époque de Vasari, la pointe d’argent passe du gris au bronze; à la lumière, l’huile de lin s'efface tandis que l’ombre la colore. Mais si l’artiste a fait du temps et de l’imprévisible les principaux instruments de son œuvre, il en a banni l’arbitraire. Lorsqu’il pince le cordeau qui claque et projette la craie, c’est avec la précision et la concentration de l’archer qui libère la flèche. Architecte il est et il demeure.
Sans recours aux mots, ou rarement, le travail de Claude Chaussard donne à lire. Le trait crée la ligne, qui crée la page. L’artiste traduit en bleu ou en traces incolores « Lettres des anges » et « Bible de Gutenberg », et signe sa propre « Dédicace à Nelligan ». Muni du seul poinçon, il soumet les caractères braille à la rigueur du nombre d’or ou les aligne sur de longs rouleaux; art à décrypter du bout des doigts. Enfin, s’il a recours aux sons, à la musique, pour ses « Notes », « Opus » et « Tempo », lui seul les entend. Sous nos yeux demeure la partition. À lire.
L’exposition présente plusieurs séries limitées produites entre 1981 et 2010, livres d’artistes, livres sculptures et diaporamas d’art public.
Texte extrait du catalogue Papier 10
Foire d’art contemporain d’œuvres sur papier
Association des galeries d’art contemporain
Montréal 2010
L’œuvre qui est sous vos yeux reprend et réinvente la structure d’une feuille de papier lignée, pour en faire une étude de la forme, du mouvement et du geste. À l’aide d’un cordeau trempé dans un pigment bleu, Claude Chaussard rend hommage à Johannes Gutenberg inventeur de la presse à imprimer au quinzième siècle, en créant patiemment deux colonnes de lignes horizontales, quarante-deux lignes pour chaque colonne.
La succession des lignes bleues évoque les vagues d’une mer apaisée, deux piliers rassurants, ou peut-être une orchestration de l’ordre et du chaos. C’est une étude mathématique de la texture et de la matérialité, de la trace laissée sur le papier. C’est la ligne de vie qui va, hésite et revient, d’un bout à l’autre de la page, suivant une symétrie volontairement imparfaite.
Architecte de formation, Claude Chaussard a également exercé ses talents dans les domaines du design, des beaux-arts et de l’enseignement, et il a été commissaire de plusieurs expositions. Né à Paris en 1954, Claude Chaussard a dirigé le centre d’expression par les arts plastiques de la ville d’Issy-les-Moulineaux en France; il a suivi, à titre de consultant, de nombreux projets internationaux d’architecture et de design, et il a créé et organisé le Festival du cerf-volant à Issy-les-Moulineaux. Il a donné des cours d’architecture et de graphisme dans diverses institutions en France. Ses œuvres ont fait l’objet de nombreuses expositions solo et collectives en France et à Montréal, et figurent dans des collections privées et publiques en France, au Japon, au Canada et aux États-Unis.
Excerpt from the catalog of PAPIER 10
Contemporary Art Fair of Works on Paper
Contemporary Art Galleries Association
Montréal 2010
In this work, the basic structure of a lined sheet of loose-leaf paper is redefined as a study of form, movement, and action. With carpenter’s rope dipped in blue pigment, Claude Chaussard pays homage to Johannes Gutenberg, inventor of the printing press in the fifteenth century, by painstakingly creating two columns each containing forty-two horizontal lines.
The blue lines can be seen as stilled waves, pillars of strength, or perhaps a depiction of order and chaos in a mathematical study of texture, materiality, the effect of the smudge. They are startled lifelines that weave and waver from one end of the page to the other and back again in a deliberately imperfect symmetry.
An architect by training, Claude Chaussard has also worked in the reaims of design, fine arts, curating, and teaching. Born in Paris in 1954, Chaussard has been director of the Centre d’Expression par les Arts Plastiques in Issy-les-Moulineaux, France, a consultant for numerous international design and architecture projects, and creator of and organizer for the Festival de cerf-volant in Issy-les-Moulineaux. He has also taught architecture and graphic design courses at various institutions in France. Chaussard’s works have been in numerous solo and group exhibitions throughout France and in Montreal, and are included in private collections in France, Japan, Canada, and the united States.
René Viau
Un trio à géométrie variable
Vie des Arts, n° 227, Été 2012
Claude Chaussard. François-Marie Bertrand. Ode Bertrand. Réunis pour l’exposition Variations, ces artistes à géométrie variable proposaient des correspondances inédites.
Un brin rétive aux poncifs en vigueur, l’exposition apportait un vent de fraîcheur. Ici pas de dogmatisme tant ces géométries, si personnelles, témoignaient d’une forme d'insubordination un peu capricieuse. Faisant la nique aux modes ambiantes, l’exposition se voulait une fois de plus l’expression salutaire du libre-arbitre qui caractérise l’action de la galerie Éric Devlin.
Rejoignant une forme de répétition rythmée, ces variations font appel à la musique. Le carton d’invitation nous le rappelait. « Variation. Ce procédé de composition consiste à transformer un thème en l’ornant, tout en le laissant reconnaissable ».
Fascinants, les dessins au cordeau de Claude Chaussard se rapprochent à leur manière d’autant de partitions. Ici pourtant, pas de notes ni de lignes tracées en tant que telles mais plutôt des « jets » claqués au cordeau. Un peu comme le ferait une flèche décochée par un archer, la trajectoire dans sa course vers la cible s’imprime sur la feuille. La corde en tension laisse, au pigment bleu, l’empreinte brouillée de son sillage alors que ces « droites » se juxtaposent. Se couvrant de lignes, la feuille se construit au gré de ces « pincements », comme en résonance. Dans ce processus prédéterminé, la répétition de l’action exige de l’exécutant une grande exactitude. L’accumulation, la plus souvent horizontale mais parfois diagonale, nous saisit. Alors que le pigment résiduel se dégage du cordeau en effleurant le papier, il apparaît toutefois, à chaque trait de façon irrégulière. Résultat : l’ensemble de ces « droites » étale leur part de flou. La rigidité du schéma de départ amène ainsi son lot de perturbations accidentelles. Avec ce procédé, le dessin se fait méditation alors que la densité se concilie avec l’impalpable. Ailleurs dans la galerie, d’autres œuvres de Chaussard témoignaient d’une même rigueur inventive.
Maurice Benhamou
Une façon de marcher
Claude Chaussard n'a jamais suivi de mouvement artistique. Dès l'origine, sa recherche est celle de la pure spécificité de sa pratique : la peinture.
Si nous voulons nous approcher des choses, il nous faut poser toutes les questions possibles, à l'exception toutefois de la question essentielle. Les véritables remises en question ne portent pas sur le qu'est-ce que (qu'est-ce que la peinture, qu'est-ce que l'art?...) mais sur le où ? quand ? comment ? pourquoi ? Elles repensent le support, les outils, la manière de les utiliser, le lieu où l'œuvre a lieu et jusqu'à ses rapports avec la temporalité. Les réponses à ces questions peuvent être contingentes, elles ne peuvent pas être circonstancielles.
Ainsi repenser le temps de l'œuvre n'est pas réfléchir à la durée de son exposition, ni même à la vitesse ou la lenteur d'un tracé, mais par exemple étudier un médium comme l'huile, matière organique aussi que l'on utilise d'habitude pour fixer des pigments mais que ceux-ci à leur tour fixent et pérennisent. Claude Chaussard ne la fixe pas. Il peint avec une huile crue sans pigment, sur de l'acrylique ou du vinyle blancs. L'huile demeure vivante c'est à dire qu'elle change, vieillit, s'efface, créant à chaque instant une œuvre nouvelle puis meurt et disparaît au bout d'un an ou deux. L'artiste range alors cette œuvre dans un milieu obscur. Au bout de quelques mois elle ressuscite, retrouve sa fraîcheur native redevient sensible à la lumière et au temps qui passe. Et ainsi éternellement. Le temps devient l'élément principal non pas de cette peinture mais de sa mise en oeuvre, le médium en quelque sorte. Renversement épistémologie. Il n'y a pas d'autre exemple de cette pratique dans l'histoire de l'art. On parle bien de la temporalité dans certaines peintures, gestuelles par exemple, mais c'est une erreur. Le temps qui se donne à voir n'est plus celui du geste et ce n'est plus comme temps que sa trace se donne à voir. La peinture, champ émotionnel, ne connaît ni le temps ni l'espace mais des intensités et des vertiges qui en sont des formes immanentes.
Dans les œuvres de Claude Chaussard le temps, brusque ou lent se donne à vivre comme émotion. La décharge de bleu sec par une compagnie d'archers, dans le silence qui précède et surtout dans celui qui suit le claquement des cordes, nous sidère. Lorsque l'espace réel et le milieu environnant sont pris en compte, ce n'est jamais de façon esthétique mais comme éléments conditionnant l'œuvre, et la constituant presque totalement. Dans ce presque se tient le génie profond de Claude Chaussard. Le site de la passerelle Dominion (autrement dit la passerelle des Anges) demeure intouché, mais lorsque spectrale ou triomphante apparaît l'oeuvre bleue, un frémissement nous parcourt l'épine dorsale et le site lui-même perd soudain toute banalité et surgit dans la réalité de sa présence, revitalisé, riche de son passé et de toute l'histoire ouvrière de Montréal. Et cela donne longuement à rêver.
Cet art, non par les formes qu'il emprunte mais par la profondeur de son inspiration, évoque toujours pour moi l'œuvre de Barnett Newman avec son infini ; mais un infini qui, chez Claude Chaussard, n'est pas "sans bord pour y poser la joue" come dit le poète Françoise Hàn.
La profonde humanité de ce peintre n'a rien à voir avec le lyrisme : ce ne sont nullement des sentiments personnels qui s'expriment mais uniquement, exclusivement, une sensibilité extrême c'est à dire une qualité impersonnelle qui est celle d'un homme, non de tel homme comme individu. L'on peut voir une forme de lyrisme dans la projection de bleus poudreux, comme une décharge de vie intensive vers les profondeurs blanches, mais ce n'est le lyrisme de personne sinon peut-être celui de chacun des regardeurs.
Cette humanité n'a rien à voir non plus avec l'humanisme sauf dans l'acception la plus culturelle de ce terme. il y a chez ce peintre, et c'est légitime, un souci permanent de retrouver la source, non pour y chercher des modèles, mais pour se ressourcer. Ainsi la pointe d'argent que louait Vasari à l'époque de la Renaissance est-elle réutilisée non comme moyen expressif d'un dessin mais comme finalité que sert au contraire une simple ligne sans fin.
De même pour l'utilisation de l'huile, prépondérante depuis le Quattrocento, mais dont les transparences se sont bien démodées. Claude Chaussard l'utilise crue non comme médium mais pour elle-même, lui découvrant ainsi une toute nouvelle modernité.
En ce qui concerne la couleur, pas de couleurs arbitraires ou gratuites. Les bois ont la couleur de leur essence, l'huile crue de la sienne. La seule couleur est le bleu avec cette réserve énoncée que, comme ce fut le cas pour Giotto, le bleu, pour Claude Chaussard, n'est pas une couleur, mais une aventure intérieure. Et il ne s'agit pas en l'occurence d'un jugement subjectif, le bleu est si purifié que ce ne peut être qu'au prix d'une ascèse intellectuelle extrême laquelle pourrait bien être le trait caractéristique de tout ce travail.
Les rapprochements qui viennent à l'esprit sont avec barnett Newman et surtout avec la peinture "à champs ouvert" de Malevitch dans les années 1920.
Cette oeuvre donne une vraie leçon : Celle qu'exprime Nerval dans les Chimères:
"...L'esprit nouveau m'appelle
J'ai revêtu pour lui la robe de Cybèle".
(Cybèle, mère de Zeus, source première).
La marche humaine enseigne le fondement de tout mouvement en avant : le pas futur, qui explore, a lieu en même temps que le pas arrière dont est sensible l"effort d'arrachement au passé.
Les deux pieds en avant ne valent que pour les morts.
Bien des artistes aujourd'hui (et non seulement les peintres) devraient y réfléchir.
Sonia Reboul
Dans l’univers de l’artiste Claude Chaussard.
C’est au détour d’un regard que j’ai découvert le travail de Claude Chaussard : dans une Foire Papier bondée et survoltée, mon oeil fût happé par un « trou blanc ». La blancheur, le dépouillement et la justesse du tracé de ses Nus furent mes portes d’entrée dans son univers artistique. Quelques semaines plus tard, j’étais invitée à découvrir l’intimité de son atelier dans le grand complexe d’artistes du Canal Lachine. Dissimulée au fond d’un dédale de couloirs, c’est dans le fumoir de cette ancienne manufacture de matelas que l’artiste, Français d’origine et Montréalais d’adoption, a aménagé cette petite caverne d’Ali Baba, alternative à son grand atelier de Paris.
Il m’avait prévenu : « Il faut venir tôt pour voir la lumière qui est extraordinaire ! »
Aujourd’hui, manque de chance, il pleut. Mais malgré la couche nuageuse, je peux très bien imaginer la clarté filtrer à cette heure matinale à travers les vieilles fenêtres à battants. Cette lumière, justement, s’avère être un élément essentiel dans le travail de cet artiste qui a fait sa thèse sur Soulages. Changeante, non maitrisable, éphémère parfois… elle est à l’image de ses œuvres. Elle est aussi dotée d’un puissant pouvoir de transformation : tout objet qui y est exposé risque altération. La transformation des matériaux, c’est justement le fil conducteur du travail de Claude Chaussard.
C’est par hasard que l’artiste commence à s’intéresser au phénomène d’altération:
Lors de la réalisation de ses Macules d’architecture (peinture sur verre) durant ses études d’architecture, il s’aperçoit en retournant le support que son œuvre, blanche à l’origine, est devenue verte. Au contact de ce verre extra blanc – qui s’avèrera d’une extrême rareté ! – la peinture s’est métamorphosée. Dès lors, découvrir de nouveaux modes de transfiguration des matériaux sera le leitmotiv de ce jeune artiste… Ou comment retrouver cette instant de grâce où la matière est créée pour disparaitre, apparaitre, ou se modifier dans le temps. Chose que j’ignorais, ses Nus, eux aussi, subissent depuis leur « naissance » une transformation immuable : réalisés à la pointe d’argent, leurs traits sont ineffaçables et bruniront au fil des années. De même, ses Lettres des anges conçues à partir d’huile dépigmentée jauniront dans le temps et à l’ombre… pour reblanchir à la lumière.
Essais, erreurs, choix et préparation méticuleuse des matériaux des supports font de Claude Chaussard un homme de science autant que d’art.
Un savant jeu entre haute technicité et perte de contrôle fera émerger de nouveaux éléments. Pourtant, l’artiste ne se qualifie pas tant de « chercheur » : « Je ne cherche pas. Je trouve. » Mais pour trouver et s’abandonner, encore faut-il maitriser ses gestes et ses outils ! Ainsi, confectionne-t-il lui-même les pointes d’agent qui serviront à dessiner ses Nus, à partir d’une mine d’argent pur montée sur un critérium (en soit, déjà un objet d’art !). C’est aussi lui qui fabrique son parchemin, contrôlant alors son degré de rugosité et sa capacité à plus ou moins retenir les particules d’argent, ainsi que son huile « dépigmentée » en retirant les pigments de couleur de sa peinture. Côté technique, il répètera par exemple pendant une dizaine de minutes chaque trait de crayon au préalable sur un papier standard avant de figer ses Nus pour l’éternité.
Tout cela peut paraître bien sérieux de technicité et de précision sur le papier…
Pourtant, il est un élément essentiel que je n’ai pas encore évoqué et qui se retrouve au cœur de son art : le jeu ! « La vie, c’est fait pour s’amuser avant tout ! » me lance-t-il au détour d’une conversation. Claude Chaussard est un homme malicieux qui se plait à raconter les anecdotes de ses différents projets, depuis la surprise de réaliser en plein chantier que son Arche de feu est positionnée juste sur l’itinéraire des convois exceptionnels français, qui finiront par intégrer l’oeuvre à leur trajet, la frôlant désormais de quelques centimètres à chaque passage… jusqu’à cette folle expérimentation avec du mercure (Le silence transparent), qu’il juge « tout de même un petit peu dangereuse » le jour où il s’aperçoit que les vapeurs ont attaqué sa gourmette en or logée dans sa poche de pantalon. Claude Chaussard joue avec les matériaux, mais aussi avec le temps et sa propre technicité : « Je navigue à vue. » dit-il en parlant de ses Lettres des anges. « Ce qu’est un an après que la couleur se révèle et que je peux vérifier si cela me convient. »
Alchimiste espiègle, un peu savant fou, l’émerveillement de Claude à chaque nouvelle découverte est communicatif.
Comme ce jour où il remarquera l’apparition de poils (!) à l’application de peinture sur du papier non-tissé utilisé en muséographie… ou alors lorsqu’il réalisera que le seul moyen de verser son mercure est goutte à goutte avec une seringue afin d’éviter qu’il ne s’éparpille en billes. Définitivement orienté sur le plaisir d’expérimenter et de créer, il collabore aussi avec d’autres disciplines artistiques, comme dans Le Colophon (livre tiré à 27 exemplaires mêlant art et écriture), ou dans ses Traits de craie, où il s’amuse à faire claquer sur une toile des cordes imprégnées de pigment au son de rythmes contemporains. Comme le dit si bien Maurice Benhamou, l’art de Claude Chaussard est un « art intime, retenu à l’extrême, ouvert sur l’invisible », où « le médium décide de l’itinéraire ». Art multiple, art surprise et art évolutif, porté par une recherche artistique de fond, une curiosité avide, et un enthousiasme flagrant, il est pour moi un art aussi philosophique : celui de connaître le juste moment de l’abandon, cette bascule qui fait naitre le Beau et l’Éternel.
à Claude Chaussard
BLEU CLAQUÉ
Prétendu ciel ce bleu fou
pleins bords jusqu'à la fleurée
barques blanches de Nicée
dans l'écume d'un remous.
Les verrait-on d'une étoile
Ninive, Babylone, Ur
étincelleraient d'azur
et non moins la moindre voile.
Bleu bien plus qu'une couleur.
L'absolu d'une naissance
cri claqué contre un silence
en poudroiement de fraîcheur.
Maurice Benhamou
D'une peinture inchoative
Nulle trace de geste dans l'œuvre exposée de Chaussard. Cette ligne unique n'est ni tirée ni tracée. Elle est "claquée", projetée comme au tir à l'arc. Poudre sèche de bleu charron qui claque dans le blanc.
Ou bien la feuille se couvre de lignes. Et c'est comme si une compagnie d'archers avait lâché contre le vide une salve qui fait, un instant, résonner sèchement le silence.
Le papier blanc est la caisse de résonance du claquement. Ce bleu absolu ne vit que de son propre creusement. Il vit sa vie dans la lumière. Si l'on accepte de la vivre avec lui, l'on atteint, comme une aubaine, le blanc du bleu, le même que les teinturiers appellent la fleurée.
Dans la préparation du pastel bleu à partir des feuilles de guesde, cette fleurée, une mousse blanche sur les bords de la cuve, indique que le bleu est à son acmé.
En vérité ce que projette la corde de l'arc n'est rien d'autre que la milliseconde neuve qui naît. Elle est bleue comme le sont aussi les étoiles qui naissent
Peindre le temps qui passe est le thème le plus récurrent dans l'œuvre de ce peintre. Il le fit naguère avec les huiles dépigmentées.
Le claquement trouve ici une expression graphique inédite. En fait, chaque seconde qui surgit restera éternellement audible. Nous ne voyons pas seulement la trace d'un claquement, nous sursautons, chaque fois que nous regardons l'œuvre, au claquement lui-même.
Inchoatifs, Chaussard, Degottex, Durdilly, Fredrikson. D'autres. Casadesus, Gramatski, Pollock et Klein. D'autres encore, pas si nombreux, sans parler de Turner et surtout du fondateur de ce mouvement "inchoatif " que nous nommons ici, le plongeur rouge originel, découvert dans une tombe en Campanie près de l'antique Poseidonia, en plein saut depuis 2500 ans devant les falaises blanches de Leucade.
Maurice Benhamou
Carbonisation
On ne peut se blottir dans l'eau froide.
L'univers de ces carbonisations bleu noir recevrait mal émotions ou épanchements.
L'œuvre, si sollicitée soit-elle, demeure à distance et même à l'écart.
Plus qu'un espace, Claude Chaussard élabore un ordre plastique nouveau, de frontalité architectonique.
Les transferts de thèmes formels se créent sans intervention directe du peintre hormis les stratégies de transfert. Ainsi, dans l'empilement des feuilles des carbones qui reçurent peut-être par pression des lignages croisés (ceux-ci seraient, simple hypothèse, les formes rhombiques de la structure du carbone), le peintre se contente-t-il de détruire les cinq ou six premiers feuillets pour éloigner les autres de leur origine.
Le carbone retrouve ici le plein exercice de sa fonctionnalité première qui est de se rappeler le passé, si lointain fût-il, pour dater un objet par exemple. Matière de mémoire le carbone est constamment régénéré par les rayons cosmiques. Il est directement objet cosmique. Aussi près et aussi loin de nous qu'il est possible.
Lisière ou liseré, une réserve étroite de la feuille de carbone entoure le champ disponible ligné ou tramé de bleu dans sa totalité. Sans l'enserrer toutefois.
Entre les marcations parallèles ou croisées, le carbone affleure.
Vus à quelques pas de recul, les bords s'effacent ou plutôt apparaissent comme un rayonnement ténébreux de l'ensemble.
Pas la moindre variation dans la suite des horizontales bleues ou des coupements textulaires. Il faut rester intègre. Mais un mouvement de la tête fait passer sur la feuille comme un frisson de nuit. Frisson de personne. Qui, si le mouvement s'interrompt se fige, se sidère. L'obscur, ainsi, travaille l'œuvre. Mais aussi le fait la nuit des temps. Carbone mystérieux à l'origine de toute vie et soupçonné d'en fomenter l'extinction. Noir, frigide, inerte, recélant cependant le principe même des flammes et de leurs fastes chromatiques.
En l'occurrence le carbone ne sert pas de support à ces travaux. Il est l'œuvre elle-même dont la carbonisation immémoriale constitue la temporalité.
Quant à l'espace il ne doit que subsidiairement aux lignes, mais il doit tout à la tension concrète, non figurée, de la feuille dont l'extrême minceur devrait offrir des flottements, soulèvements, enroulements.
Tension inexplicable au demeurant. Le bas de la feuille bien que non fixé se plaque avec raideur contre le support. Sauf peut-être un phénomène d'électricité statique mais qui ne serait pas sans conséquences formelles. C'est lui peut-être qui électrise la surface, fait vibrer la lumière aux croisements des lignes et matérialise en quelque sorte la sensibilité extrême de l'œuvre.
De cette sensibilité distante il y aurait beaucoup à dire.
L'accord si passionné entre ces noirs et ces bleus qui ne cessent de se toucher et de se dérober ancre l'œuvre au plus profond de nous.
Il faut considérer cette mise à distance, cette froideur avec une grande précaution de pensée.
Peut-être est-ce l'inverse qui nous est suggéré. Comme ce théologien, Maître Eckart qui affirmait que Dieu n'existe pas afin que le désir de Dieu devienne en chacun dévorant, c'est par la voie de l'apophase que nous devrions approcher cette feuille de carbone.
Le caractère impersonnel et glacé n'est qu'une défense de l'être que sa sensibilité extrême rend fragile et qui demande une ferme protection.
Seule l'assurance de cet abri permet, sans risque d'effondrement, de pousser une peinture aussi loin.
Et la révélation de cette sensibilité nue et vulnérable peut provoquer en nous ce
furtif tressaillement de notre être qui marque notre accès à l'intimité de l'œuvre.
François Beauxis
Le bleu intime du temps qui passe
Art'Nmag_ Sept_Oct 2019
Claude Chaussard est un peintre de l’intime et de l’invisible, qui nous questionne sur le temps, la mémoire et l’instant présent. Il travaille à Montréal et à Paris, où il est né et a fait ses études. Architecte de formation, cet artiste bi-continental a développé un art subtil qui trace en lignes bleues le temps et l’espace.
Bonjour Claude, vous avez cette passion pour le bleu. Tout d’abord quel sens attribuez-vous à cette couleur?
Je vous parlerais plutôt d’émotion. Émotion ressentie lors de la découverte, et je dirais du choc émotionnel quand j’ai vu, dans mon adolescence, pour la première fois le papier découpé de Nicolas de Staël « Collage sur fond bleu » au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris. Ce bleu et la partition de l’espace au sein de ce fond bleu, la partition de ces surfaces colorées dans un équilibre parfait m’ont toujours fasciné. Images rémanentes encore actuellement.
Pour moi, le bleu « n’est pas une couleur mais une aventure intérieure ». La formule est Maurice Benhamou.
Vos travaux donnent à montrer un monde géométrique, des lignes parallèles, des quadrillages, des alignements ; est-ce une écriture quasi-musicale du monde ou encore le prolongement, à une échelle plus large, de votre travail d’architecte?
Vous savez « l’architecture est une symphonie dont la lumière et l’ombre sont les notes ». Cette citation de Raymond Fischer peut tout à fait s’adapter aussi à la musique, au dessin, à la peinture, même à la littérature : tous se rejoignent dans la notion de rythme. Considérer la peinture uniquement sous l’angle de la « représentation » néglige cette loi fondamentale de l’harmonie, née de la juste proportion des lignes, des surfaces, des valeurs, des couleurs, des rapports, de la construction.
Par exemple, lorsque j’utilise, dans une partie de mon travail, la corde enduite de poudre bleue dont se servent les maçons, celle-ci claque, vibre et, suivant les tensions que je lui imprime, des sons » mats ou éclatants » ponctuent la toile de silence. Claquement. Silence. Rythme.
Vous êtes attaché à « écrire » le mouvement du temps, la mémoire qui passe et qui s’efface, l’instant éphémère du paysage, qui change sous l’angle de la lumière. Dans vos premiers travaux, vous avez utilisé la pointe d’argent, pour tracer les contours évanescents de corps nus, mais aussi l’huile dépigmentée, qui après avoir « saigné » sur papier, se décolore à la lumière et se révèle à l’ombre. Quel est, aujourd’hui, votre dessein d’artiste et votre proposition artistique en utilisant la couleur bleue si forte et si permanente sur le papier?
Aujourd’hui comme hier, dans mon travail c’est le médium qui décide de l’itinéraire.Vous énumérez différents médiums que j’utilise depuis des années. Vous avez raison, je travaille sur le passage du temps. Mais, et vous l’avez précisé, je travaille aussi sur l’instant. Prenons l’exemple de la pointe d’argent dont le trait est immuable, impossible à effacer. Le travail est dans l’instant. Par contre, l’œuvre elle-même, par oxydation, va évoluer avec le passage du temps. Même processus dans le cas de l’huile dépigmentée : ma part de travail se situe dans l’instant, l’œuvre ensuite se crée par elle-même dans le temps. Dans le cas de la poudre bleue, le processus est identique, mais s’accélère. Même obsession de l’instant : c’est le moment déterminant de libération de la corde; même préoccupation de l’aléatoire : c’est le poudroiement et sa retombée. Enfin, depuis peu, j’utilise dans la série Carbone le pouvoir du transfert grâce auquel l’accumulation systématique de lignes va, sur la feuille de carbone, se révéler aléatoire.
Vous mentionnez « l’instant éphémère du paysage ». Vous faites sans doute référence à mes réalisations d’art public et plus particulièrement au projet en phase de développement de la Passerelle Dominion à Montréal. Il s’agit de la réminiscence immatérielle d’une architecture ouvrière aujourd’hui disparue, où l’œuvre essentiellement lumineuse se fait plus ou moins discrète ou éclatante selon les variations météorologiques. Mémoire d’un lieu où la lumière bleue ponctue l’espace urbain. Cette fois encore, l’œuvre demeure autonome face au temps qui passe.
« Pour aller où tu ne sais pas, a écrit saint Jean de la Croix, tu dois prendre le chemin que tu ne connais pas. »
Un dernier mot, cher Claude. Quelles sont les dernières expositions qui vous ont marqué.
Nous avons eu la chance dans la dernière année de voir, à Paris, trois expositions où le plaisir, la liberté de créer sont transcendés. Nous avons vu, au Centre Pompidou, la force créatrice de Braque (Le Patron, dit Jean Paulhan) et de Picasso se déployer toile après toile non pas en rivalité, mais dans un échange lui-même source de créativité. Une complicité qui stimulera la création artistique.
J’ai retrouvé la même émotion à l’exposition Miro, au Grand Palais. Jusqu’à la fin, la magie opère. Le plaisir et la liberté à leur paroxysme. Et que dire de « Triptyque Bleu I, Bleu II, Bleu III ». Une merveille.
Enfin, cette exposition que j’ai tant attendue, depuis des décennies : Strzeminski et Kobro au Centre Pompidou. Vous ne serez pas étonné de mon enthousiasme devant leurs travaux et leur théorie de l’Unisme du début des années 30 qui m’ont ouvert le champ des possibles. En passant, une suggestion : le dernier film d’Andrzej Wajda sur les dernières années de Strzeminski, « Les Fleurs bleues »…
Sylvie Merlino
http://decrypt-art.hautetfort.com/
LA TRACE DU VENT
La collection d'un poète
La galerie ETC a ouvert ses portes en 2018. L'exposition en cours aujourd'hui, programmée jusqu'au 20 septembre, est un hommage à Maurice Benhamou, décédé à 90 ans en décembre 2019, père du collectionneur Pierre-Henri Benhamou et grand père du galeriste Thomas Benhamou. Le nom d'ETC résume fort bien la filiation qui unit les 3 générations d'amateurs d'art dans la continuité d'un même goût pour la peinture contemporaine, sous influence Zen, minimaliste, sensible et dominée par une absence du Moi.
Rappelons que Maurice fut un grand découvreur de talents, critique d'art et poète...L'écouter parler des artistes était passionnant et sa plume a beaucoup fait pour expliquer, faire sentir, comprendre les grands mystères qui se cachent derrière des œuvres que beaucoup qualifient de difficiles d'accès. Citons, par exemple "L'espace plastique", Ed Name, 1999, et, aux éditions L'Harmattan "Le visible et l'imprévisible", 2006, "De la peinture à proprement parlé", 2011...et, bien sûr "La trace du vent", 2004, qui sert de titre à cette exposition représentant une partie de la collection personnelle de Maurice Benhamou. Pour le plaisir, j'en citerai quelques-unes.
Très curieusement, en entrant dans la galerie, l'œil est attiré par une petite sculpture multicolore trônant au centre de la pièce, sur une sellette. Elle a tout d'une sphère armillaire, symbole de l'univers, dont les anneaux sont en métal peint de différentes couleurs. Œuvre de l'artiste américain Dennis Oppenheim, invité dans les années 80 par la ville de Thiers, ville de coutellerie, au Symposium international de sculpture monumentale métallique, elle figurait sur le bureau de Maurice Benhamou, tel un objet familier représentatif de son ouverture sur le monde.
Du grand tableau de Jean Degottex, à droite, Lignes-report III, (acrylique et colle sur toile, 205 x 420 cm)1977 qui figurait lui aussi dans le bureau de Maurice - on ne voit tout d'abord que la couleur, le noir - comme un infini démesuré - et la verticalité des trois panneaux qui forment une sorte de triptyque, puis la multitude de lignes horizontales. Rien d'autre que cette trame devenue texte, dépouillement absolu, aboutissement d'un long travail dont l'artiste lui-même dira en 1987, résumant son parcours: "Du signe, je suis passé à l'écriture, de l'écriture à la ligne d'écriture, de la ligne d'écriture à la ligne", mais toujours avec la même précision, la fulgurance du geste, devenues ici pliage, arrachage au cœur de la matière, ainsi exaltée. Car tout participe de l'œuvre, les lignes tracées en report, reliefs et creux, les taches, les déchirures, les infimes accidents, autant de phénomènes nés de l'intelligence des matériaux auxquels Degottex était attentifs, évacuant toute marque de sa présence. Il ira jusqu'à délaisser la peiture traditionnelle au profit d'un découpage de la toile, de la brique et du bois. Une réalité arpentée et transfigurée, ici à la fois tragique et sereine.
Comme Degottex, Béatrice Casadesus s'est trouvé des affinités avec l'extrême orient où elle a séjourné. Ce Printemps, (huile sur toile 100 x 100 cm), 2008, est comme une fenêtre sur l'univers, profond, léger, fragile et vaporeux d'où émergent et s'éparpillent des bulles colorées comme des taches de soleil. Seurat l'avait perçu, Casadesus a trouvé dans ces pastilles à trame semi-transparente, qui sont devenues sa marque de fabrique, un symbole du mouvement du monde, ses vibrations. Architecte de formation, elle sait la puissance créatrice de la lumière, son pouvoir générateur de couleurs, de nuances, qui donne une vision fugitive des choses. Comme s'il n'y avait pas de sujet mais seulement des illusions.
Sous les noirs secoués de quelque sismographe qui rythment l'œuvre de Claude Chaussard - Dessin d'approche n°9 - (gouache et trait de craie, 152 x 56 cm), 1981, se faufile une ligne bleue, comme un instant furtif, aléatoire...Elle est à peine visible mais elle grimpe, éphémère, imprévisible. Chaussard, lui aussi architecte, déploie une rigueur et une extrême sensibilité, il aime s'effacer dans la neutralité des blancs, en pigments à stabilité variable, et dans l'absolu avec le bleu en liserets énergiques. Véritable "aventure intérieure" proche de Degottex, ce bleu intense n'est pas peint ou tracé, mais projeté selon un rituel très précis: claqué au cordeau de carrier, comme au tir à l'arc et qui se dépose en poudre sèche comme une auréole, un très léger flou, vibrant, qui suggère la vie.
Max Wechsler vient de s'éteindre à l'âge de 95 ans. Né à Berlin et installé en France depuis 1939, il est passé de la figuration initiale au Surréalisme avant de s'orienter vers une adstraction affranchie de toute gestualité subjective. Le papier marouflé Sans titre, (collage sur toile, 120 x 80 cm), 1985 allie la peinture à l'huile, et des éléments typographiques collés en surface. Étrange processus éminemment matiériste qui aboutit à un champ de lettres ou débris de lettres en relief, aux formes variées, disséminées sur un fond aux tons sourds. Les aspérités un peu volcaniques nées de cette accumulation dansent sur le velouté de la couleur. Tableau sans bord ni centre, de format modeste contrairement aux dernières toiles de l'artiste, texte illisible qui renvoie à la culture, à l'histoire indicible, à celle, personnelle et familiale de Wechsler. Des lettres qui signifient "silence, solitude, ombre et lumière..."
René Guiffrey revendique le qualificatif d'artiste plasticien. S'il œuvre toujours dans la peinture-peinture, il travaille de longue date avec le papier ou le verre, choix délibéré de transparence ou de blancheur parce que le propre du blanc, comme la musique, c'est le silence, la neutralité, l'inachevé. Page 181 B, émail, acrylique, miroir sur plaque de verre, 70 x 70 cm, 1994 n'y échappe pas. Elle allie le sensible de la main et l'insensible industriel, le poids du verr et sa fragilité, le brillant et le mat, le terne et li miroitant, autant de données qui font de l'œuvre tout le contraire d'un tableau immobile que le regardeur perçoit d'autant mieux qu'il se déplace. Dans le format carré, presque austère, l'œil chemine, se perd dans la profondeur des superpositions et l'instabilité des lignes et reflets qui font vaciller les formes: œuvre toujours en devenir dont la vie semble monter d'une substance enfouie, comme la germination des lettres chez Wechsler.
La trace du vent, galerie ETC, 28 rue Saint-Claude, 75003 Paris. Jusqu'au 20 septembre 2020
Armand Herscovici
https://mydigimag.rrd.com/publication/?m=45416&i=704196&p=24
Revue LION n°740 avril-mai 2021
Architecte de formation et peintre, Claude Chaussard propose des œuvres hors du commun, autonomes par rapport au monde, presque invisibles...Portrait.
Claude Chaussard est membre du collège des artistes du Patrimoine culturel des Lions Clubs de France. Né à Paris en 1954, il se consacre aux arts plastiques après avoir obtenu en 1985 son diplôme d'architecte.
Lointain émule de Malevitch, Claude Chaussard donne à la peinture une autonomie par rapport au monde et à la réalité extérieure, tant spirituelle que sensible. il y a chez lui une volonté de la vivre pour ce qu'elle est, et rien d'autre. Il souhaite une production qui ne soit que sensation, qu'émotion picturale. Avec lui, la peinture n'a nul besoin d'un univers concret pour exister. Il dépouille ses tableaux de tout élément qui ne contribuerait pas à la pureté en tant que telle. Aussi exprime-t-il et fait-il ressentir pleinement ce qu'ils sont.
Son art s'ouvre sur l'invisible: Son art intimiste et minimaliste s'ouvre sur l'invisible. Sa démarche ne varie pas: il est en permanence fidèle à un cheminement spontané où le procédé décide de ce que sera l'œuvre. Elle se veut reflet du moment, de l'éphémère. Lors de la réalisation de ses Macules d'architecture (peinture sur verre), durant ses études d'architecture, il s'aperçoit, en retournant le support, que sa création, blanche à l'origine, est à présent verte. Au contact du verre. le tableau s'est métamorphosé. C'est une révélation. Le temps est devenu son complice, comme une quatrième dimension. Son tracé d'un seul geste, avec la pointe d'argent, saisit l'instant fugitif, et les ans qui s'ajoutent aux ans vont le bronzer.
Il utilise de multiples techniques: L'idée se retrouve dans les multiples techniques qu'il utilise. Comme le mentionne le Dictionnaire des arts plastiques modernes et contemporains (Gründ, 2001), Claude Chaussard s'essaie à maintes "variations et l'usage des matériaux les plus divers: le verre, la pointe d'argent, le mercure, l'huile de lin. Depuis les palissades chaulées du début des années 80 aux miroirs partiellement recouverts de mercure des années 90, toutes les traces, macules, souillures dont le blanc peut être le metteur en évidence, sont employées". S'il peint avec l'huile sans pigment, sur de l'acrylique ou du vinyle blancs, l'huile demeure vivante. Elle change d'apparence avec le temps, elle pâlit, puis s'efface au bout d'un an ou deux. À chaque instant de ce processus évolutif, l'œuvre se renouvelle, puis disparaît. Rangée en un lieu obscur, puis sortie quelques mois plus tard, elle retrouve son aspect originel et subit de nouveau les effets du temps. Magique!
La lumière colore les blancs... Dans les toiles regroupées par séries de quatre, où se rencontrent les blancs vinyliques et les huiles dépigmentées qui les strient verticalement, la lumière colore les blancs, et le temps, lui encore, modifie les huiles. Dans les pièces remarquables à la mine d'argent, papiers marouflés sur métal au format insolite 250 x 10 cm, la ligne droite qui se déploie sur des fonds longuement préparés transforme l'espace en espace-temps.
Si l'écriture peut être peinture, reprenons quelques formules utilisées par divers commentateurs : l'œuvre de Claude Chaussard, c'est " l'effarement devant la neutralité, l'effleurement du rien, le frémissement du vide".
Depuis 1982, Claude Chaussard expose principalement à Paris et à Montréal (Galeries Regards, Charles Sablon, Romagny...). Architecte de formation, il a également exercé ses talents dans les domaines du stylisme, des beaux-arts et de l'enseignement. Il a été commissaire de plusieurs expositions. Il a dirigé le Centre d'expression par les arts plastiques de la ville d'issy-les-Moulineaux en France, où il a créé et organisé le Festival du cerf-volant.
De nombreuses expositions: En tant que consultant, il a suivi de multiples projets internationaux d'urbanisme et de design. citons, entre autres, La Passerelle Dominion, à Montréal, une réalisation qui, par un jeu subtil de formes et de lumières bleues, ressuscite à la fois un riche passé architectural, et un lourd historique de luttes ouvrières. Il a enseigné l'architecture et le graphisme dans diverses institutions en France.
Il vit maintenant au Canada, où il est reconnu tant pour ses créations grandioses dans la valorisation artistique des villes que pour sa peinture. Ses œuvres ont fait l'objet de nombreuses expositions individuelles et collectives en France et à Montréal, et figurent dans des collections privées et publiques en France, au Japon, au Canada et aux États-Unis.
Elora Weill-Engerer
Critique d’art, membre de l’AICA
ON PAPER
Exposition collective 2022, Galerie ETC, Paris
Le papier est intrinsèquement lié à l’écriture, c’est-à-dire à un message à regarder. Le lien entre le dessin et l’écriture est établi par la notion de graphein dans la Grèce antique ou par la calligraphie orientale selon lesquelles les deux termes désignent une seule et même chose. Issus de contextes artistiques, historiques et géographiques différents, Mathieu Bonardet, Stéphane Bordarier, Alan Charlton, Claude Chaussard, René Guiffrey, Albert Hirsch, Charles Pollock et Max Wechsler présentent des travaux sur papier qui engagent une écriture, autrement dit un système visible - et non nécessairement lisible - de signes.
Chez ces huit artistes, le papier se caractérise déjà d’un point de vue plastique : le papier a une peau car il est marqué par une consistance, une trame, une fibre, une pulpe. Il y a donc un rapport éminemment haptique au papier, dans le sens où celui-ci appelle une manière d’être touché. Ici, la diversité d’utilisation participe à sortir le papier de son statut d’ébauche, d’esquisse, de non-fini, de ce sur quoi l’on "jette" ce qui relève d’une pensée furtive et non aboutie ou l’on "couche" ce qui serait sinon voué à la disparition. L’expression, "sur le papier" désigne aussi l’écart entre le plan et son exécution, comme si le papier ne pouvait se ranger que du côté du fragile et du temporaire. Contre cette pensée commune, les œuvres d’ On paper sont imprimées, effleurées, surmontées, voire creusées, découpées et collées, alimentant l’idée que le papier a et est une "marque". D’un côté, il s’agit de la “marque” au sens littéral : chacun des artistes se distingue par sa "marque de fabrique" (papier Arches, Bfk Rives, Hahnemühle, papier journal, Drop paper). De l’autre, la marque définit la nature de la relation entretenue au papier, qu’il soit support ou matériau. Cette marque résulte de la vie plus ou moins cachée du papier et de son traitement purement physique. Le trait est endurant et mécanique chez Mathieu Bonardet, le texte s’épuise tout en s’accumulant chez Max Wechsler et les lettres des anges s’effacent chez Claude Chaussard. Tout ce jeu d'avancée et de retrait donne au papier une capacité de battement, comme un mouvement de diastole et de systole au cœur du medium. Par exemple, le papier s’intègre au travail de transparence que René Guiffrey développe dans une étude sur verre. Concernant la peinture à l'huile et à l'acrylique de Stéphane Bordarier, sa matité et son épaisseur la rattachent à la technique de la fresque dont l'empreinte, ici, s'effectue non sur un mur mais encore sur papier. Dans l’œuvre d’Alan Charlton, le dessin répond à un protocole, quand il serait à ranger du côté du symbole et du signe dans les séries ponctuant le parcours de Charles Pollock. L'écriture est encore autre avec Albert Hirsch, qui reprend des mouvements de danse pour inciser le papier cotonneux.
Damien Aubel
Transfuge Sept 2023
AUX BORDS MYSTÉRIEUX DU MONDE
Exposition collective 2023, Galerie ETC, Paris
Brillant petit florilège d’artistes à la galerie etc. pour un beau voyage visuel au long cours…
Le monde de l’art : son consternant degré d’approximation devrait sans autre forme de procès frapper d’interdit l’emploi d’une telle expression. A moins que l’exigence et la rigueur qu’on doit à nos impressions, et par-dessus tout aux plus précieuses, celle qu’allume la vision des œuvres d’art, ne nous poussent à reconnaître que, oui, un tableau, plus encore, une succession, comme ici, d’œuvres revêtues de signatures différentes, définissent l’étendue d’un monde. Lequel s’appréhende moins du regard qu’il n’offre sa nouveauté, son étrangeté à l’exploration.
On a tout juste débarqué, posé pied et œil sur cette contrée inconnue ; premier réflexe : noter l’état du ciel. Drôle de soleil, astre qui, en son foyer, luit noirement, comme on dirait lumineusement – à moins que ce jet d’encre sur toile de Vincent Dulom ne traduise, dans la simplicité de ses matériaux et l’insaisissable subtilité – la dérobade, presque – de ses dégradés, un phénomène comparable à celui de l’éclipse? Quoi qu’il en soit, ce n’est pas là l’aspect usité du firmament. Nous sommes sous d’autres cieux.
Et d’autres terres. Ce petit pastel de Charles Pollock, admis qu’on lui imprime, mentalement, une rotation, et voici que ses bandes colorées latérales, ce beau bleu nuit qu’un aiguisement de l’accent chromatique fait gemme azuréenne, ce vert d’automne ou cette printanière tranche, deviennent strates, étagement d’une coupe géologique. Est-ce un échantillon de ce même sous-sol que le segment bleu, obsédante et fine rayure sur l’uniformité de son fond, qui vient comme une incision à la surface d’un beau Claude Chaussard (qui, par ailleurs, a droit simultanément à sa propre exposition dans l’autre salle de la galerie) ? Auquel cas, le poudreux ennuagement, le papillotement bleu qui gaine ce mince stylet, n’est-il pas la traduction d’une intense activité magnétique?
D’étranges, d’impalpables forces tissent ainsi leurs enchevêtrements d’attractions et de répulsions au sein de ce monde, et nul n’en témoigne mieux que Mathieu Bornadet, dont les quatre grands panneaux, eux-mêmes soumis à un partage, ou plutôt une mutation des valeurs, du sombre au clair, lancent l’esprit, hamster affolé, dans la roue infinie du paradoxe du même et de l’autre, des oppositions et des identités…Tout ce qui, philosophiquement, épouse les mystérieux mouvements de la matière aimantée.
Que dis-je « matière » ? Considérez cette huile d’Eve Gramatzki : invinciblement, sa partition horizontale, ses teintes l’assimilent au paysage, mais sa merveilleuse délicatesse, l’atténuation, la sourdine si on veut, y tendent ce voile qu’il appartient à la mémoire ou à la rêverie de tirer. Miracle d’un magnétisme qui se fait magie, la vue extérieure attirant l’activité intérieure - le paysage absorbant l’âme – à moins que ce ne soit l’inverse ? Miracle, oui, que ce nouveau monde où l’esprit et la matière se réconcilient! Cela vaut bien un Hosanna, et la petite Croisée IV, d’Emmanuelle Leblanc, avec sa feuille d’or, son dessin de voûtes, invite à le pousser.
Xavier Bourgine
Point Contemporain Sept 2023
OUTRE-HORIZON
Exposition collective 2023, Galerie ETC, Paris
Outre-horizon
Exposition collective qui regroupe un ensemble six artistes de la galerie etc Paris jusqu’au 23 septembre 2023.
Avec Mathieu Bonardet, Claude Chaussard, Vincent Dulom, Eve Gramatzki, Emmanuelle Leblanc, Charles Pollock
Dans sa lumineuse biographie d’Anna-Eva Bergman, Thomas Schlesser propose de réunir sous le vocable d’« outre-horizon » un corpus d’œuvres de maturité qui se distinguent par leur palette restreinte, l’épure des formes qu’elles représentent, souvent dérivées d’éléments simples du paysage quand ce n’est pas tout simplement de l’horizon, des œuvres qui toutes manifestent un effort commun pour donner à voir soit l’espace qu’il y aurait au-delà de l’horizon, soit, avant même l’isolement des formes, le moment de leur émergence. La question de l’horizon, multiple et insaisissable, à la limite entre le visible et l’invisible, est aussi au cœur de l’exposition d’été que propose la galerie etc autour de quelques œuvres rigoureusement choisies.
Entre la Croisée IV d’Emmanuelle Leblanc et le halo de Vincent Dulom, c’est d’abord sur la limite du visible et de l’invisible que le regard s’exerce. Le fond d’or, symbole d’infini des primitifs italien, dévoile les mêmes secrets de flou et de diffusion de la lumière que l’impression progressivement densifiée de Vincent Dulom, au centre de laquelle peuvent finir par apparaître, à force d’accommodation, des lignes, voire un point focal, tel qu’explicitement désigné par l’intersection deux de arcs chez Emmanuelle Leblanc, qui constituent d’ailleurs, avec la craie de traçage de Claude Chaussard la seule trace de construction, au sens humain et architectonique du terme, des paysages ou des espaces proposés. Car l’horizon peut aussi trouver un dépassement dans sa propre disparation, quand la lumière ou une tempête trop forte l’efface, à l’exception d’un léger dépôt de bleu.
Prenant plus à bras-le-corps l’horizon, Mathieu Bonardet le vide de sa dimension paysagère en réinvestissant une œuvre de 2011 issue de l’immensité des paysages américains. Fragmenté en quatre panneaux, l’outre-horizon est ici celui du désastre ou du désert, où il n’y aurait plus qu’un bas et un haut, infiniment répétés, dans toutes les directions et dans tous les formats possibles. L’ouverture de l’espace confinerait alors à l’enfermement, s’il n’était la touche plus naturelle rapportée par Eve Gramatzki, dans une composition elle aussi en deux registres, mais dont la teinte verte de l’inférieur et celle bleu du supérieur ne manquent pas de rappeler les paysages de l’Ardèche où elle commença à séjourner à partir de 1979, et où sa pratique évolua vers une abstraction plus géométrique. Le parcours peut alors s’achever par un dessin au crayon de Charles Pollock, le plus spirituel et aérien de la fratrie. Sublimé par les verticales vertes et bleues, l’outre-horizon dévoile ici sa dimension la plus rare.
par Xavier Bourgine
POINT CONTEMPORAIN
Septembre 2023
Elora Weill-Engerer
Critique d’art, membre de l’AICA
CLAUDE CHAUSSARD
Exposition Solo 2023, Galerie ETC, Paris
"Tout problème en un certain sens en est un d'emploi du temps".
Georges Bataille, Méthode et méditation, 1947
Contrairement au texte, qui est lu selon l'ordre de succession dans lequel il a été conçu, l'œuvre en deux dimensions s'insère dans un cadre délimité dans l'espace et sur un support plan. À la différence du premier, l'œuvre en deux dimensions est fondée sur la simultanéité et pose, de fait, la question de la représentation du temps. Selon les théoriciens de la Renaissance, "la peinture est une poésie muette" : les tableaux ne parlent pas puisqu'ils figent l'action dans un instant unique. Or, c'est peut-être, précisément, dans un renversement de cet aphorisme que se situe le travail de Claude Chaussard : le silence est une poésie qui montre.
Il n'est pas anodin de voir dans la pratique de Claude Chaussard un lien direct avec le son. Dans une introduction à Point-ligne-plan, Kandinsky écrit que c'est la musique " qui jusqu'à aujourd'hui permettait seule des œuvres abstraites". Pour lui, comme pour plusieurs artistes des premières et des secondes avant-gardes (Kupka, Delaunay, Rauschenberg), l'art abstrait est l'art du temps, et c'est la raison pour laquelle ces tenants de l'abstraction puisent leur source dans le son ou son absence qui est, par excellence, l'art de l'immatérialité et le véhicule de la vie spirituelle. Leur souhait commun de créer une œuvre picturale poly- ou a-phonique se traduit plastiquement par la négation de haut, de bas, de premier ou de second plan. En somme, il n'y a plus de sens de lecture sur la toile : on ne sait où elle commence et où elle se termine. Claude Chaussard ne se cache pas d'être habité par ces enjeux de définition : quel est le dernier point de Seurat? Le concert ne commence-t-il pas quand le pianiste effleure les touches avant de jouer? Ces éléments relèvent de ce que Duchamp nomme "inframince". Or, l'inframince de Duchamp n'est pas un nom mais un adjectif. C'est une modalité ou une déclinaison et non une chose en soi. Comparer la pratique de Claude Chaussard à une forme musicale revient à y percevoir l'importance des rapports et des déviations. On peut parler d'une approche "agogique", terme qui désigne les légères modifications de rythme apportées dans l'interprétation d'un morceau : césure rythmique, accélération, ralentissement (Chants de Mars 2020). Dans les Lignes, le claquement du cordeau de carrier donne à la peinture une dimension foncièrement sonore, et, dans le même temps, confère à la musique une masse plastique.
L'artiste parvient à contourner la difficulté de la limite spartiate du tableau en travaillant par séries et ensembles, plutôt qu'en se conformant à la tradition de l'œuvre unique et de l'objet auratique défini par Benjamin. Il en va d'une unité organique de l'œuvre comme apparence qui nie sa "fabrication". Adepte de la pointe d'argent et des huiles dépigmentées, Claude Chaussard laisse travailler la lumière et toutes les haleines du temps sur l'œuvre : si bien que l'œuvre, elle-même, travaille, à l'insu de l'artiste, comme un organisme passant naturellement par les étapes de la vie. Il ne s'agit pas d'une représentation de la réalité mais d'une autoreprésentation de ses matériaux et des données constitutives à sa vie : le temps et l'espace. Pas une expérience de l'autorité de l'artiste, donc, mais une expérience de soi.
À travers ses différentes séries, Claude Chaussard traduit littéralement l'origine du trait (tractus, "tirer"), et, quelque part, de la vue. Dans ses Dessins d'approche (1981), la gouache et la craie sont raclées à la spatule et créent un phénomène de vibration sur le papier, comme des interférences ou des ondes dont l'artiste se fair le simple transcripteur. Ce frémissement se retrouve dans les Émergences-Résurgences (1988) où la superposition des lignes d'huile avec l'acrylique blanche poncée engendre une réaction chimique toujours différente. L'huile saigne. Chez Claude Chaussard, le trait tend manifestement à son émancipation par des stratégies de déplacement, de mouvement ou de disparition. Le corpus, en général, semble extrait d'une iconologie de la rétine. Durant l'Antiquité, la théorie extramissionniste (Euclide, Ptolémée) défend l'idée que la vue est provoquée par le contact entre des rayons lumineux partant de l'œil et l'objet. Le bâton de l'aveugle trace lui aussi plusieurs lignes, à tâtons, pour voir. La rétine, enfin, est elle-même constituée de " bâtonnets ", qui, à la différence des cônes, sont les cellules photoréceptrices permettant une vision nocturne et à faible luminosité.
CLAUDE CHAUSSARD
Musique et arts plastiques Équivalences structurelles
Les apports du sérialisme dans les arts plastiques
p 134 MUSIQUE ET ARTS PLASTIQUES
La démarche de Claude Chaussard se situe à la croisée des arts plastiques, de l’architecture et de la musique. La série Dessins d’approche (1981) a été réalisée à partir de l’écoute de Metastasis de Iannis Xenakis et de l’analyse structurelle de la partition, tandis que la série Lettres des anges (2003) a été conçue à partir de l’écoute des Vingt Regards sur l’Enfant-Jésus d’Olivier Messiaen. Dans les séries Opus et Notes (2002-2019), le graphisme sur le papier se veut une image rémanente de la sonorité de la corde pincée, afin d’accorder étroitement les données acoustiques et visuelles.
La série des Lignes (2017-18) est basée sur le claquement d’un cordeau de carrier sur la feuille et, à travers l’empreinte plus ou moins irrégulière qui s’ensuit, le son est comme sous-entendu, ce qui fait dire à Maurice Benhamou : « Nulle trace de geste. Cette ligne n’est pas “tracée“. Elle est claquée au cordeau de carrier. Projetée comme au tir à l’arc. Poudre sèche de bleu charron qui persiste à claquer au-delà de sa projection. »
Tensions et résonances se conjuguent donc dans des œuvres où sont juxtaposées des lignes tantôt horizontales, tantôt diagonales. Le pigment résiduel bleu se dégageant du cordeau en frappant le papier en vient ainsi à créer une kyrielle plus ou moins irrégulière et accidentée de traces et de points en fonction de la stratégie adoptée au préalable par l’artiste. D’ailleurs la vibration, inséparable de son approche du trait, est un phénomène qui transparaît dans plusieurs de ses œuvres, tantôt soumise à des processus de ralentissement, d’accélération, de perturbation ou d’interruption, comme dans Chants de Mars (2020).
Jean-Yves Bosseur: Musique et Arts Plastiques Interactions aux XXe et XXIe siècles , Édition Minerve 2024