Texte

TRAIT DE CRAIE

 

 

https://12lignes.claudechaussard.com/

« 12 lignes (2023) a été conçue à la suite d’échanges avec Claude Chaussard à propos des interactions possibles entre phénomènes sonores et visuels ainsi que, plus précisément, de l’observation d’une œuvre sur papier qu’il m’avait confiée et qui présentait un faisceau de lignes parallèles disposées en diagonale paraissant tendre vers l’infini, chacune attirant vers elle une constellation de points. Sans jamais rechercher une relation de terme à terme avec le phénomène plastique, j’ai pensé à un ensemble d’instruments, chacun incarnant une des lignes. La participation du Nouvel Ensemble de Montréal s’imposait dans la mesure où celui-ci réunit les différentes familles instrumentales (bois, cuivre, cordes, percussions) et, en conséquence, les modes d’attaque qui leur sont attachés. J’ai basé ma partition sur treize séquences de durées plus ou moins égales, qui se tuilent et forment un tout, une hauteur-pivot étant tour à tour attribuée à chaque instrument. » Jean-Yves Bosseur

 

 

Nulle trace de geste. Cette ligne n'est pas « tracée ». Elle est claquée au cordeau de carrier. Projetée comme au tir à l'arc. Poudre sèche de bleu charron qui persiste à claquer au-delà de sa projection. Qui n'entre dans aucun rapport chromatique, c'est-à-dire dans aucun récit. Un bleu intransitif, intransigeant, qui ne dit rien, qui est. Ou bien la feuille se couvre de lignes. Et c'est comme si une compagnie d'archers avait lâché contre le vide une salve qui fait résonner le silence…

Le papier blanc n'est ici que la cible. Il n'entretient pas un vrai rapport plastique avec le bleu. Il n'est que la caisse de résonance du claquement. Ce bleu absolu ne vit que de son propre creusement. Il vit sa vie dans la lumière. Si l'on accepte de la vivre avec lui, l'on atteint, comme une aubaine, le blanc du bleu, ce que les teinturiers appellent la fleurée. Dans la préparation du pastel bleu à partir des feuilles de guesde, cette fleurée, une mousse blanche sur les bords de la cuve, indique que le bleu est à son acmé. L'attention longue devant l'œuvre permet d'atteindre ce point et fait de cette rencontre un exercice spirituel.

L'intervention du peintre au terme d'une longue méditation est brève, minutieuse, absolue. Mais là est le mystère: ce claquement, comme produit au fond de l'éternité, résonnera toujours, fera éternellement partie de l'œuvre que l'on devrait même intituler:

« claquement de bleu »

Maurice Benhamou