Textes

 

CONSTRUCTIONS ARCHITECTONIQUES

 

Écrit en marge du silence: CARBONISATIONS (Fr)

On ne peut se blottir dans l'eau froide.

L'univers de ces carbonisations bleu noir recevrait mal émotions ou épanchements.

L'œuvre, si sollicitée soit-elle, demeure à distance et même à l'écart.

Plus qu'un espace, Claude Chaussard élabore un ordre plastique nouveau, de frontalité architectonique.

Les transferts de thèmes formels se créent sans intervention directe du peintre hormis les stratégies de transfert. Ainsi, dans l'empilement des feuilles des carbones qui reçurent peut-être par pression des lignages croisés (ceux-ci seraient, simple hypothèse, les formes rhombiques de la structure du carbone), le peintre se contente-t-il de détruire les cinq ou six premiers feuillets pour éloigner les autres de leur origine.

Le carbone retrouve ici le plein exercice de sa fonctionnalité première qui est de se rappeler le passé, si lointain fût-il, pour dater un objet par exemple. Matière de mémoire le carbone est constamment régénéré par les rayons cosmiques.  Il est directement objet cosmique. Aussi près et aussi loin de nous qu'il est possible.

Lisière ou liseré, une réserve étroite de la feuille de carbone entoure le champ disponible ligné ou tramé de bleu dans sa totalité. Sans l'enserrer toutefois.

Entre les marcations parallèles ou croisées, le carbone affleure.

Vus à quelques pas de recul, les bords s'effacent ou plutôt apparaissent comme un rayonnement ténébreux de l'ensemble.

Pas la moindre variation dans la suite des horizontales bleues ou des coupements textulaires. Il faut rester intègre. Mais un mouvement de la tête fait passer sur la feuille comme un frisson de nuit. Frisson de personne. Qui, si le mouvement s'interrompt se fige, se sidère. L'obscur, ainsi, travaille l'œuvre.  Mais aussi le fait la nuit des temps. Carbone mystérieux à l'origine de toute vie et soupçonné d'en fomenter l'extinction. Noir, frigide, inerte, recélant cependant le principe même des flammes et de leurs fastes chromatiques.

En l'occurrence le carbone ne sert pas de support à ces travaux. Il est l'œuvre elle-même dont la carbonisation immémoriale constitue la temporalité.

Quant à l'espace il ne doit que subsidiairement aux lignes, mais il doit tout à la tension concrète, non figurée, de la feuille dont l'extrême minceur devrait offrir des flottements, soulèvements, enroulements.

Tension inexplicable au demeurant.  Le bas de la feuille bien que non fixé se plaque avec raideur contre le support. Sauf peut-être un phénomène d'électricité statique mais qui ne serait pas sans conséquences formelles. C'est lui peut-être qui électrise la surface, fait vibrer la lumière aux croisements des lignes et matérialise en quelque sorte la sensibilité extrême de l'œuvre.

De cette sensibilité distante il y aurait beaucoup à dire.

L'accord  si passionné entre ces noirs et ces bleus qui ne cessent de se toucher et de se dérober ancre l'œuvre au plus profond de nous.

Il faut considérer cette mise à distance, cette froideur avec une grande précaution de pensée.

Peut-être est-ce l'inverse qui nous est suggéré. Comme ce théologien, Maître Eckart qui affirmait que Dieu n'existe pas afin que le désir de Dieu devienne en chacun dévorant, c'est par la voie de l'apophase que nous devrions approcher cette feuille de carbone.

Le caractère impersonnel et glacé n'est qu'une défense de l'être que sa sensibilité extrême rend fragile et qui demande une ferme protection.

Seule l'assurance de cet abri permet, sans risque d'effondrement, de pousser une peinture aussi loin.  

Et la révélation de cette sensibilité nue et vulnérable peut provoquer en nous ce

furtif tressaillement de notre être qui marque notre accès à l'intimité de l'œuvre. 

Maurice Benhamou

Written on yhe edge of silence: CARBONIZATIONS (Traduction: Helge Dascher)

There's no getting comfortable in cold water.

The universe of these blue-black carbonizations would hardly accommodate emotion or effusiveness.

The work, no matter how solicited is may be, remains distant, even apart.

More than a space, Claude Chaussard devises a new material order, an architectonic frontality.

The transfer of formal themes occurs without any direct intervention by the painter, except for the transfer strategies employed. Thus, in stacking sheets of carbon paper that may, through the effect of pressure, receive the markings of gridwork of lines (which could, hypothetically, be the rhombic forms of the structure of carbon), the painter might simply destroy the first or six sheets in order to distance the others from their origins.

Here, carbon recovers its primary function, that of recalling the past, however distant, for instance to determine the age of objects. Carbon is a material of memory, constantly regenerated by cosmic rays. It is directly a cosmic object. As near to us and as distand as possible.

Held in reserve, preserved a blank area surrounds the available field - which is entirely lined or hatched in blue - without however restraining it.

Between the paralled or intersecting markings, the carbon rises to the surface.

Seen from a few steps back, the edges disappear, or rather, they appear as a dark glow.

There is no variation of any kind in the sequence of blue horizontals and textured slashes. One must remain uninfluenced. But a movement of the head sends a nocturnal shiver over the page. The shivering of nobody. Who, if the movement is interrupted, holds still, taken aback. Something obscure, it seems, acts on the work. As does the dawn of time. Mysterious carbon: origin of all life, and suspected of fomenting its extinction. Black, cold and inert, yet containing the essence of flames and their chromanic splendor.

Here carbon is not a support for work. It is the work itself, its ancient carbonization introducting the element of time.

As for the space, its debt to the lines is only subsidiary. In fact, it owes everything to the concrete, non-figurative tension of the sheet, whose extreme thinness should offer moments of suspension, lift, curling.

Instead, there is inexplicable tension. The bottom of the sheet is not fastened, yet it clings rigidly to the support. The phenomenon of static electricity is in play, and not without formal consequences. Perhaps this is what electrifies the surface, makes the light vibrate at the intersections of the lines and materializes the extreme sensitivity of the work.

Much could be said about this distant sensitivity.

The tuning, the passionate vibration between these blacks and blues that constantly touch and yet evade each other, anchors the works in our depths.

This effect of distancing, this coldness, asks for careful consideration.

Might it not be the opposite of what it seems? Perhaps, like the theologian Meister Eckhart, who denied existence to God in order to radicalize our hunger for Him, it is through apophasis that we should approach these sheets of carbon paper.

The impersonal and cold character of the work becomes a shield for a being made fragile by extreme sensitivity and in need of firm protection.

Only the certainty of shelter can allow a painting to be pushed this far without risk of collapse.

And the discovery of this exposed and vulnerable sensitivity stirs in us that slight tremor of our being that marks our access to the intimacy of the work.

MACULES D'ARCHITECTURE

Le plasticien Claude Chaussard est aussi architecte. Cette proposition équivaut à cette autre: l'architecte Claude Chaussard est aussi plasticien. Sur ses plans d'architecte, il ne peut s'empêcher, parfois, de porter un regard de peintre, un regard désintéressé. Un regard qui les considère en eux-mêmes et non comme l'une des premières étapes de l'érection d'un bâtiment. Pour cela il lui faut les mettre hors circuit, hors du monde. Il en fait des lithographies. Ce déplacement du médium suffit à changer le tracé - qui représente une réalité future, qui est donc langage ou valeur symbolique - en trace sans finalité. Il ne s'agit plus de la présentation d'un plan mais de sa représentation, de l'ostension des lignes en elles-mêmes. Ces lignes font encore allusion au réel (futur en l'occurrence) mais seulement allusion sans lien organique avec lui. Un effet de réel en quelque sorte.

Autre étape. Sur les épreuves maculées, d'une feuille de format carré (50 x 50 cm), mélange d'obliques d'une extrême acuité, d'une extrême énergie et d'écrasements d'encre, de salissures, le plan ne peut plus se voir à deux dimensions. Pour accomplir son destin de peintre, l'architecte doit passer par la sculpture. De même que le papier n'est plus support mais l'œuvre même, le verre qui le protège voit sa fonctionnalité pratique se retourner en fonctionnalité plastique. Ici sculpture du vide. Lui aussi participe au travail. Au vide abstrait du papier, il ajoute le vide concret de sa distance au papier. Fonction unificatrice: ce vide concret harmonise la coexistence ardoisée de la macule, du blanc, des reliefs, de l'ombre légère. Il accentue le caractère abstrait de l'œuvre en lui apportant sa transparence absolue. Ici, c’est une rareté, il a la pureté du cristal. La troisième dimension fait irruption réellement, non dans un imaginaire du futur, mais dans sa réalité tactile: sillages qui griffent la surface blanchie du verre, empreintes, blanc dans blanc, creusements, toutes traces dynamiques, énergiques, élans obliques du bas vers le haut ou l'inverse, précipitations serrées en écho aux trajectoires de la macule. Peinture, sculpture, architecture se sont fondues dans l'émotion d'un « espace plastique ».

Maurice Benhamou

 

 

 

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Carbone n°26

2018

Transfert sur carbone (de la série Constructions architectoniques)

dim : 26,8 x 20 cm

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Carbone n°14

2017

Transfert sur carbone (de la série Constructions architectoniques)

dim : 27 x 20 cm

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Carbone n°17

2018

Transfert sur carbone (de la série Constructions architectoniques)

dim : 27,5 x 20,5 cm

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Carbone n°29

2017

Transfert sur carbone (de la série Constructions architectoniques)

dim : 25,5 x 20 cm

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Carbone n°84

2017

Transfert sur carbone (de la série Constructions architectoniques)

dim : 28,8 x 20,5 cm

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Carbone n°12

2018

Transfert sur carbone (de la série Constructions architectoniques)

dim : 25,2 x 20 cm

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Carbone n°15

2018

Transfert sur carbone (de la série Constructions architectoniques)

dim : 27,3 x 19 cm

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Carbone n°24

2018

Transfert sur carbone (de la série Constructions architectoniques)

dim : 27 x 20 cm

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Carbone n°80

2017

Transfert sur carbone (de la série Constructions architectoniques)

dim : 25,5 x 18 cm

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Carbone n°22

2017

Transfert sur carbone (de la série Constructions architectoniques)

dim : 25,5 x 18 cm

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MACULE D’ARCHITECTURE n°10

1986

Peinture sur verre et papier marouflé sur contreplaqué

(de la série Macule d'architecture)

dim : 50 x 150 cm

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MACULE D’ARCHITECTURE n°7

1986

Peinture sur verre et papier marouflé sur contreplaqué

(de la série Macule d'architecture)

 

dim : 50 x 150 cm ( ensemble )

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MACULE D’ARCHITECTURE n°7

1986

Peinture sur verre et papier marouflé sur contreplaqué

(élément gauche du triptyque)

dim : 50 x 50 cm

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MACULE D’ARCHITECTURE n°7

1986

Peinture sur verre et papier marouflé sur contreplaqué

(élément central du triptyque)

dim : 50 x 50 cm

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MACULE D’ARCHITECTURE n°7

1986

Peinture sur verre et papier marouflé sur contreplaqué

(élément droit du triptyque)

dim : 50 x 50 cm

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MACULE D’ARCHITECTURE n°2

1986

Peinture sur verre et papier marouflé sur contreplaqué

(de la série Macule d'architecture)

dim : 50 x 50 cm

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MACULE D’ARCHITECTURE n°12

1986

Peinture sur verre et papier marouflé sur contreplaqué

(de la série Macule d'architecture)

dim : 50 x 50 cm

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MACULE D’ARCHITECTURE n°4

1986

Peinture sur verre et papier marouflé sur contreplaqué

(de la série Macule d'architecture)

dim : 50 x 50 cm

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MACULE D’ARCHITECTURE n°14

1986

Peinture sur verre et papier marouflé sur contreplaqué

(de la série Macule d'architecture)

dim : 50 x 50 cm

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MACULE D’ARCHITECTURE n°15

1986

Peinture sur verre et papier marouflé sur contreplaqué

(de la série Macule d'architecture)

dim : 50 x 50 cm