Texte
HUILE DÉPIGMENTÉE
Claude Chaussard va s'en remettre au papier nu. S'il y a une vérité à dire, c'est celui-ci qui la dira. À sa manière silencieuse. La peinture qui osera se lover dans cette vérité-là devra aussi se montrer nue, dépouillée de tout pigment. Réduite à son médium, au médium de toute peinture occidentale depuis Van Eyck jusqu'au XXe siècle : l'huile crue.
À la pacification de l'espace dont le papier saturait l'air, à la « spacification » pourrait-on dire, l'huile apporte l'apaisement du temps. Elle séduit le papier, l'investit, le traverse à chaque touche. Elle l'exonère de sa triste fonction de support. Le fait chanter. Mais son absorption permanente de la lumière dont désormais aucun pigment réfléchissant ne la protège est pour elle danger mortel. Elle se livre tout entière sans prudence. Avec le temps, on la voit pâlir et s'épuiser jusqu'à sa presque disparition. Quand par la lumière tout est consommé, dans l'obscur elle renaît et s'avive. L'obscur, à la longue, la ressuscite. Immortalité de l'art. Elle resurgit dans son essence apparemment irréductible. Rejaunit, rajeunit, retrouve son singulier présent. Le regardeur de l'oeuvre assiste à un spectacle encore inconnu en art. Une peinture inchoative, une peinture véritablement au présent, c'est-à-dire ici, maintenant et en route vers un avenir incertain.
Espace et temps sont ici, avec l'huile et le papier, les seuls éléments de mise en œuvre de ce travail si singulier. Souvenons-nous cependant que l'émotion que nous donne l'art n'est jamais dans l'ordre de l'espace ni dans celui du temps. Elle est un vertige et une intensité.
Maurice Benhamou